IFR en aviation générale

Puis-je faire de l’IFR avec mon avion? Que dois-je faire pour mettre un avion en « conformité » ?


Merci à M. Smørgrav pour son aide dans la rédaction de cette article

Pour voler en IFR il vous faut : Un pilote qualifié IFR IR/PBN, et une machine équipée pour.

Cet article décrit surtout les conditions qui permettent d’exploiter un avion soumis à la réglementation Part-NCO (Règlement (UE) n° 965/2012 et amendements)[2]  en IFR. Les avions dits « Annexe I » (décrits en Annexe I de la réglementation de base – Basic Regulation), par exemple CNRA, ULM, et même CDN dont la conception remonte à avant 1955 et dont la production s’est arrêtée avant 1975, ne sont pas soumis à Part-NCO. L’arrêté du 24 Juillet 1991 amendé s’applique à ces appareils.

Les qualifications aux instruments se multiplient, résultat d’une volonté de l’AESA de rendre l’IFR plus accessible à l’aviation générale légère[1] . Pour exemple le CB-IR, avec un théorique très allégé par rapport à l’IR classique, permettant de bénéficier de crédits de formation pour expérience préalable, et réduisant le nombre d’heures devant être accomplies en ATO à 10h [2], le reste pouvant être faites avec un instructeur indépendant. En pratique cependant, la majorité des CB-IR restent réalisés exclusivement en ATO, hormis quelques accords ponctuels issus souvent du FN-IR entre ATO et clubs/DTO.

On trouvait également l’EIR, la qualification permettant de voler en IFR en-route seulement, maintenant remplacée (depuis 8 septembre 2021) par le Basic IR (BIR), dernier né du règlement Aircrew, permettant d’obtenir un IR sans posséder la « compétence en langue anglaise », sans nombre d’heures minimum de formation, et qui permet aussi de faire une partie de la formation hors ATO[3]. Le Basic-IR offre d’avantage de privilèges que l’EIR. Les pilotes détenant un EIR doivent donc faire le complément de formation pour obtenir un CB-IR ou un Basic-IR.

Un autre obstacle à l’adoption de l’IFR par la communauté des pilotes privés : l’accès à un avion équipé de manière à pouvoir voler en IFR. Chat échaudé craint l’eau froide, et la mémoire collective se rappelle de règles d’équipements très contraignantes. Mais là aussi l’AESA a œuvré. Depuis quelques années la règlementation a changé avec l’avènement de Part-ML, ELA1, ELA2, CS-STAN… mais beaucoup ont encore en tête les anciennes règlementations. Dans cet article nous démontrons que les contraintes ne sont pas aussi strictes que l’on aurait pu le craindre.

Nous fournirons toutes les références qui permettront au lecteur de vérifier les informations fournies. Notez bien qu’il existe une distinction entre les exigences réglementaires, et l’équipement nécessaire à atteindre le niveau de confort et de sécurité que l’on souhaite, car l’AESA s’attache à ne pas imposer des mesures trop contraignantes, pouvant être vues comme disproportionnées par rapport aux enjeux de sécurité que représente l’aviation générale. L’article part donc des minimas exigés par la réglementation, en rajoutant quelques considérations pratiques.

Plan de l’article :

  • Qualification du pilote
    • IR en cours de validité
    • BIR en cours de validité au sein des pays AESA seulement
  • Certification de l’avion (cellule) – voir chapitre 2 du manuel de vol
    • Chapitre 2 du manuel de vol : Limitations
    • MEL (Minimum Equipment List) si existante pour les limitations liées à des pannes d’équipement
  • Equipement
    • NCO.IDE.125 : instruments de vol et de navigation
    • NCO.IDE.A.190 : moyens de radiocommunication
    • NCO.IDE.A.195 : moyens de radionavigation
      • Exigence des espaces aériens ou de la route suivie (AIP)
    • NCO.IDE.A.200 : Transpondeur
  • Entretien
    • Vérification périodique de la chaîne altimétrique
    • Mise à jour des bases de données de navigateurs PBN
      • Base de données en cours de validité (cycles de 28 jours)

1         Qualifications du pilote

Le pilote doit détenir une qualification de vol aux instruments associée à une licence européenne en cours de validité, avec formation à la navigation basée sur les performances obligatoire depuis 2020 (PBN)[3] .

2         Certification de l’avion

Certains avions ne sont pas certifiés pour le vol IFR pour diverses raisons tel que des critères de stabilité, ou par manque de protection contre la foudre[7] .

Que dit votre manuel de vol ? Vous devez évidemment respecter ce manuel et les restrictions figurant au chapitre 2 qui peuvent limiter son utilisation au régime VFR.

La plaquette installée à l’intérieur de l’avion faisant mention du type d’opération autorisée (« VFR » ou « VFR de nuit », « IFR »), s’il y en a une, doit également être respectée. Elle est vraisemblablement posée par le responsable de navigabilité en raison de l’absence d’un équipement nécessaire pour d’autres types d’opérations, du non-respect d’un obligation d’entretien, ou d’installation, limitant ainsi l’usage.

3         Equipements de l’avion

3.1         Instruments de vol

Les instruments de vol exigés en IFR figurent dans NCO.IDE.A.125[2]  et se résument à :

  • Compas
  • Montre/chrono (montre poignet acceptée si indique heures/minutes/secondes)
  • Altimètre en ft, calage hPa/mb
  • Anémomètre
  • Vario (Vertical Speed Indicator)
  • Bille/aiguille ou taux de virage
  • Horizon artificiel
  • Conservateur de cap (de préférence avec une « pinnule »)
  • OAT (Outside Air Temperature)
  • Un dispositif indiquant si l’alimentation des instruments gyroscopiques n’est pas adéquate
  • Une source de pression statique alternative
  • Réchauffe Pitot

Vous remarquerez qu’on ne parle pas ici d’un second altimètre ou horizon, ni de la nécessité d’avoir un pilote automatique. Ces exigences s’appliquent par contre aux aéronefs complexes (NCC.IDE.A.125 et 130). Bien que non exigé par la règlementation, il semble désirable d’avoir un pilote automatique en IFR afin de permettre au pilote de se concentrer sur la conduite de vol et être en forme pour les phases d’arrivée et d’approche.

3.2         Moyens de radiocommunication

Les moyens de radiocommunication exigés en IFR figurent dans NCO.IDE.A.190[2]

Une seule radio 8.33 kHz[12] semble obligatoire pour voler en IFR dans l’espace européen. En effet, une note de l’AESA[8]  en réponse à une question adressée par Eurocontrol, clarifie que seule une radio de communication est nécessaire dans un avion CS-23 en NCO.

Le pilote prudent pourrait cependant vouloir emporter une radio portable en secours, munie d’une prise de casque.

3.3         Moyens de radionavigation

NCO.IDE.A.195 est très pragmatique, et peu prescriptif, dans sa description des moyens de radionavigation qui sont nécessaires en IFR. Dit simplement, il suffit d’être équipé des moyens permettant de suivre la route déposée dans le plan de vol jusqu’à la destination, et ensuite jusqu’au dégagement, et faire les approches prévues à moins qu’une approche à vue soit possible à destination, dans quel cas on n’a même pas besoin de moyens d’approche.

Malgré tout, ceci est probablement le sujet le plus compliqué en raison des évolutions technologiques, résultant en une grande diversité d’équipement, ainsi que la diversité des spécifications de navigations.

Nous sommes depuis de nombreuses années engagés dans une évolution qui délaisse la navigation par moyens dits « conventionnels » au profit de navigation PBN (« Performance Based Navigation ») qui met en œuvre aussi bien des moyens terrestres (VOR/DME, DME/DME) que satellitaires (GNSS) dans toutes les phases de vol. Ces avancées technologiques permettent à l’Etat, ainsi qu’aux gestionnaires d’aérodromes ou aéroports, de réaliser de belles économies financières en remplaçant des moyens terrestres (VOR, ILS, NDB) par des moyens PBN.

La réglementation (NCO.IDE.A.195 point b ) exige qu’en cas de panne d’un équipement de navigation, on puisse poursuivre le vol en sécurité avec l’équipement restant. Il faut donc deux équipements de navigation indépendants.

3.3.1        Navigateur GNSS

Mise à part l’obligation légale d’être équipé RNP 5 (RNAV 5/B-RNAV) pour pouvoir suivre certaines routes ATS décrites dans AIP ENR 3.3, d’un point de vue purement pratique nous aurons besoin d’une capacité RNP 1 pour suivre une arrivée ou un départ normalisé, car les procédures conventionnelles disparaissent progressivement, ainsi que pour suivre les approches initiales pour des approches ILS ou VOR (voir les approches ILS du Touquet ou Pontoise). Finalement, de nombreux moyens d’approche conventionnels (ILS, VOR, NDB) ont été retirés du service et remplacés par des procédures RNP.

Il apparait donc certain que l’avion devra être équipé d’au moins un navigateur GNSS capable de RNP 5 et RNP 1 pour la navigation en-route ainsi qu’en espace terminal (SID/STAR). Afin de pouvoir accéder à des terrains dépourvus de moyens d’approche conventionnels, qui sont de plus en plus nombreux soit en raison de la création de nouvelles approches, soit en raison de la suppression des moyens conventionnels, le navigateur devra être certifié aussi pour RNP APCH, tout au moins aux minimas LNAV (2D). Il faut pour cela un équipement qui réponde à la norme TSO-C129 (non-SBAS, soit ABAS). Un GNS430 répondrait à ce besoin.

Un navigateur répondant à la norme TSO-C146 (SBAS ou WAAS/EGNOS) sera aussi capable de faire des approches 3D (LNAV/VNAV, LPV), et rajoutera la possibilité de faire des approches LNAV avec « advisory glidepath » baptisées LNAV+V par Garmin. Un autre avantage de cette norme est que suite à une évolution réglementaire qui entrera en vigueur en octobre 2022, cela supprimera l’obligation d’avoir une approche conventionnelle soit à destination, soit au dégagement conformément à NCO.OP.142 [9]. Un GNS430W ferait l’affaire.

On note aussi que des évolutions réglementaires dans Part-NCO qui entreront (vraisemblablement) en vigueur en octobre 2022 [14], permettront la substitution de moyens conventionnels par un moyen RNAV, sauf pour le guidage latéral dans le segment final.

Pour satisfaire à NCO.IDE.A.195 d), si l’équipement de l’avion est d’origine, les spécifications PBN auxquelles il satisfait doivent figurer dans le manuel de vol. Si l’équipement a été rajouté, l’équipement aura été installé conformément à un STC (Supplemental Type Certificat), et avec ce STC vient un AFMS (Airplane Flight Manual Supplement) qui indique les spécifications d’approche auxquelles il satisfait.

C’est en consultant ces documents que l’on saura si on peut faire une approche RNP, ainsi que les minimas applicables, LPV, LNAV, LNAV/VNAV etc. Les détails de ces différentes spécifications, qui peuvent être assez cryptiques, sont donnés dans GM1 NCO.IDE.A.195.

3.3.2        DME

Certains espaces aériens, comme la TMA de Paris, exigent d’après l’AIP, un DME[13] . En Europe, la plupart des ILS requièrent un DME en l’absence de balises OM/MM, ou de radiales VOR pour identifier le FAF et le point de remise de gaz. Certains considèreront donc le DME comme un équipement obligatoire. En même temps de très nombreux Cirrus sont sortis d’usine sans DME et n’en ont pas installé sans que cela ne semble les gêner outre mesure. Le GNSS peut être accepté en remplacement du DME, sauf s’il est explicitement requis sur la carte “DME requis”.

3.3.3 ADF 

L’ADF n’est pas obligatoire, mais bien que souvent décrié pour sa précision, on trouve finalement encore beaucoup d’approches NDB, et à ce jour, il n’est pas possible en AESA de substituer le NDB par un point GPS, avoir à bord un ADF est donc finalement toujours utile.

 3.3.4 VOR/ILS

Même équipé avec un navigateur GNSS, certains terrains risquent d’être inaccessibles sans un ILS car les approches RNP utilisent des « path terminators » qui ne sont pas supportés par le navigateur, par exemple les segments « Radius to fix » ou « RF legs ». C’est le cas des approches RNP à Strasbourg-Entzheim (LFST) où les approches RNP sont exclues de la base de données des GNS430(W) pour cette raison.

L’ILS peut donc avoir encore de beaux jours devant lui, et pourra rendre service en cas de panne de la navigation satellitaire. De telles « pannes » se sont produites en France, par exemple à Marseille et St Etienne, en raison de l’utilisation de brouilleurs GPS par des routiers pour déjouer la surveillance de leur patron, ou de l’utilisation de brouilleurs de radars routiers, à proximité de l’aéroport.

3.3.5        Conclusions

Strictement parlant on pourrait donc se contenter d’un navigateur GNSS/SBAS et d’un VOR/ILS à conditions qu’il s’agisse de deux équipements indépendants. Beaucoup d’équipements GNSS sont aussi COM/VOR/ILS à l’instar des GNS430, GNS430W, GTN650 et IFD440. Il existe aussi des équipements qui font COM/VOR/ILS comme le Trig TX57. Un GNS430(W) et un Trig TX57 permettrait de satisfaire à toutes les exigences réglementaires en matière d’équipement de navigation, y-compris la redondance. Le pilote devra adapter sa stratégie de vol et le choix de ses dégagements, pour prendre en compte la perte éventuelle des moyens RNAV.

3.4         Transpondeur

NCO.IDE.A.195 exige que l’avion soit équipé d’équipement de surveillance qui correspond à l’espace aérien dans lequel on évolue. NCO.IDE.A.200 exige un transpondeur conforme aux exigences réglementaires du « Ciel unique européen » (« Single European Sky »).

Un transpondeur mode S est actuellement exigé pour tout vol IFR en CAG dans le ciel Européen[11]  Et certains pays l’exigent aussi en VFR.

4         Entretien

4.1         Chaîne altimétrique

L‘obligation de contrôler la chaîne altimétrique tous les deux ans n’existe plus. Il existe cependant un bulletin d’information de sécurité SIB 2011-15R2 qui recommande que ces contrôles soient faits sans discrimination par règles de vol[10] . Afin de détecter d’éventuelles erreurs altimétriques, un nouveau NCO.OP.101 qui entrera en vigueur en Octobre 2022 rend obligatoire la vérification du calage de l’altimètre avant décollage, et l’application d’une correction en cas d’écart. Si l’écart dépasse la tolérance, l’avion, le vol sera annulé.

4.2         Mise à jour des bases de données navigateurs

Pour pouvoir voler en IFR il faut que les bases de données d’au moins l’un des navigateurs soient maintenues à jour. Cela implique la souscription d’un abonnement à Jeppesen ou Garmin, ainsi qu’une intervention manuelle tous les 28 jours pour procéder à la mise à jour.

5         Stratégie avionique

Lorsque l’on planifie son installation d’avionique il est important de ne pas se contenter de regarder uniquement son besoin actuel. En anticipant les évolutions réglementaires, ainsi que des besoins à venir, on peut éviter de se retrouver avec une installation qui ne pourra pas évoluer, et on se retrouvera à avoir remplacer de l’avionique récemment installée.

Par exemple, si l’on n’a pas de pilote automatique, mais que l’on pourrait vouloir en installer un dans le futur, il faut éviter d’installer des instruments gyroscopiques ou un EHSI qui ne seront potentiellement pas compatibles avec les pilotes automatiques approuvés pour l’avion.

L’équipement d’information de trafic est un sujet sur lequel travaille l’AESA. Aujourd’hui tout avion de plus de 5700 kg et capable de plus de 250 kts doit être équipé d’ADS-B OUT[11] . De plus en plus d’avions légers, surtout ceux sortis d’usine récemment, et équipés d’EFIS, en sont également équipés. Il y a sur le marché des équipements portables à relativement bas coût permettant la réception d’ADS-B, et l’affichage sur une application de navigation tel que ForeFlight ou SkyDemon. L’ADS-B OUT nécessite un transpondeur mode S avec Extended Squitter (le « Enhanced Surveillance » n’est pas nécessaire) relié à un récepteur GNSS SBAS.

Si l’on envisage le remplacement d’un transpondeur mode C par mode S, autant choisir un transpondeur qui supporte l’ADS-B OUT, même en l’absence de source GNSS SBAS qui pourra être rajoutée plus tard. Noter que certains transpondeurs ont un GPS SBAS intégré. Si à terme on pourrait envisager d’installer un « traffic display », autant installer un transpondeur qui soit aussi ADS-B IN.

Ce sont donc des choses à étudier attentivement avant de prendre ses décisions d’investissement.

Bons vols !

Quelques liens et sources :

[1] Feuille de route pour l’aviation générale. Rendre l’viation générale plus simple et plus économique (https://www.easa.europa.eu/downloads/115984/fr)

[2] Règlement (UE) n°965/2012 “Air Operations”

[3] Règlement (UE) n°1178/2011 Article 4a

[4] Règlement (UE) n° 1178/2011 Annex I « PartFCL » Appendix 6, section Aa, 6) a) iii)

[5] Règlement (UE) n° 1178/2011 Annex I « Part FCL» FCL.835

[6] Règlement (UE) n° 1178/2011 Article 4 bis 5)

[7] CS-23.2520 b)

[8] 8.33 kHz Voice Channel Spacing below FL195 – EASA answers to EUROCONTROL questions

[9] Draft Annex to draft Commission Implementing Regulation (EU) …/… amending Commission Regulation (EU) No 965/2012 as regards the requirements for all-weather operations and for flight crew training and checking

[10] Draft Acceptable Means of Compliance (AMC) and Guidance Material (GM) to Annexes I-VIII to Commission Regulation (EU) No 965/2012 and to Annex I to Commission Regulation (EU) No 1178/2011 (RMT.0379)

[11] Règlement d’exécution (UE) No 1207/2011 DE LA COMMISSION du 22 novembre 2011 fixant les exigences relatives à la performance et à l’interopérabilité des activités de surveillance pour le ciel unique européen articles 2 et 5

[12] Règlement d’exécution (UE) 1079/2012 établissant des spécifications relatives à l’espacement des canaux de communication vocale pour le ciel unique européen

[13] AIP France AD2 LFPG 22.10.2 et 22.11

[14] Draft Acceptable Means of Compliance (AMC) and Guidance Material (GM) to Annexes I-VIII to Commission Regulation (EU) No 965/2012 and to Annex I to Commission Regulation (EU) No 1178/2011 (RMT.0379)

Les aéronefs AESA CS-23 :

https://www.easa.europa.eu/download/AESA-product-lists/AESA-PRODUCT-LIST-Small-Aeroplanes.pdf

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